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Le spectacle de l’impuissance (21.06.2010)
Par lemessager
C’est que chaque équipe nationale de football est à l’image du pays qu’elle représente, le reflet de sa culture, de ses modes d’organisation et de ses tares. Pour ce qui nous concerne, le constat est simple : tant de potentialités, mais aussi tant de gâchis, sur fonds d’asthénie morale et d’impuissance collective. Cette impuissance, on l’aura étalée aux yeux du monde lors des deux matches qui nous ont opposés au Japon (que nous n’avons jamais battu) et au Danemark (pourtant à notre portée). D’une part une énorme puissance potentielle, dont on voit bien ici et là quelques éclairs et quelques éclats, mais qui titube, qui bégaie, qui ne s’exprime que sur le mode épileptique. De l’autre, le désordre, la pagaille, l’incurie, les gestes vides de ceux qui sont au bord de la noyade, bref l’auto émasculation.Les causes structurelles de cette auto émasculation collective sont connues de tous, à commencer par celles qui relèvent de la politique et de l’économie.
Il y aura bientôt trente ans, une élite libidineuse s’est incrustée à la tête de l’État. En collusion avec la plupart des forces locales, elle a transformé le pays en l’une des satrapies les plus vénales de tout le continent. Après avoir procédé à une destruction systématique de l’infrastructure morale et éthique de notre société, elle a érigé le vol, la perversité et la transgression en nouvelles normes et coutumes partagées aussi bien par les dirigeants que par leurs sujets. S’en est suivie une tonton-macoutisation généralisée des populations, pauvres et riches confondus. Au point où aujourd’hui, la sénilité aidant, l’ensauvagement s’est transformé en culture, en conscience collective et en mode de vie. Tous, on le sait. Et tous, nous sommes impuissants à y remédier. Le Cameroun de 2010 ressemble aux écuries d’Augias – en attente d’un nettoyage radical et d’une rupture nette et sans concession. Car, tant que ce régime de la licence absolue et de la débauche permanente déterminera notre destin, il n’y aura rien à attendre de l’avenir.
Fermer la page
Dans une large mesure, il n’y aura donc aucune possibilité de rayonnement mondial du football camerounais en l’absence de changements politiques radicaux. De ce point de vue, le fiasco sud-africain n’est pas seulement une affaire de coach. Certes, ce pauvre Le Guen et ses acolytes – techniciens médiocres et obtus et tacticiens de second degré – n’ont cessé de tâtonner, de naviguer à vue et d’improviser. Mais comme d’habitude, ils étaient loin de tout contrôler. Bien des ficelles leur échappaient.
Ils avaient hérité d’une équipe dont la transition, chaotique, n’avait guère, comme à l’accoutumée, été planifiée. Ils ont vite découvert que l’équipe
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nationale était un marais infesté de crocodiles. Après l’éclaircie du début, ils ont passé l’essentiel des derniers mois dans la fange. Avant même le coup d’envoi du Mondial, ils étaient déjà empêtrés dans la boue. Emmenés par un capitaine talentueux, mais égo-narcissique, un brin impétueux et peu porté à la discrétion, les joueurs ont offert un spectacle d’impuissance consommée. Sonnés par près de trente ans de pourrissement, les Camerounais sont passés maîtres dans l’art de la fraude, de l’improvisation et de la prévarication. Toujours, ils veulent récolter ce qu’ils n’ont pas semé. En lieu et place d’un labeur de longue haleine, ils réclament des miracles et, faute de les obtenir, ils inventent des boucs émissaires. Or, le foot moderne ne connait ni miracles, ni magie. Seuls comptent l’organisation, la discipline, le travail et la prévision. Il faut donc revenir au point de départ. Et d’abord, il faut de manière décisive fermer la page de la génération 1998-2000 qui a procuré tant de moments de joie à la nation (Rigobert Song, Gérémi Njitap, auxquels il faut ajouter Webo, Idrissou, Souleymanou et d’autres).
Il faut ensuite ouvrir avec détermination la page du futur. Paul Le Guen en a tracé quelques lignes plus ou moins furtives en intégrant dans l’effectif des jeunes qui ont avec eux la durée et le talent (Matip, Bong, Mandjeck, Assou-Ekotto, Choupo, Bassong, Eyong, Aboubakar et d’autres). Avec Nkoulou, Alex Song, Mbia, Eto’o, l’on dispose, là, de quoi constituer une équipe qui gagnera en expérience au fur et à mesure des batailles à venir. C’est, maintenant, ce socle qu’il faut consolider et élargir en cultivant et en intégrant les talents qui font encore défaut et sur des postes où le manque est évident – des latéraux qui savent créer le surnombre, de bons joueurs de couloir, de nouveaux attaquants de la trempe d’Eto’o ou Milla, des gardiens de buts de la densité de Bell ou Nkono, des tireurs d’élite comme le fut Njitap, des créateurs qui sachent donner du rythme et de la cadence au jeu. Ceci suppose que l’on travaille, pour une fois, de manière disciplinée et méthodique, et sur le long terme. Ceci suppose que, pour une fois, il existe une stratégie nationale échelonnée dans le temps. Car, pour faire bonne figure en coupe du monde, il faut y avoir travaillé non pas au cours des trois semaines précédant la compétition, mais plusieurs années en amont.
L’expérience aidant, l’on sait malheureusement que tel ne sera sans doute pas le cas. Et qu’en 2014, l’on se retrouvera face aux mêmes problèmes – le spectacle de l’impuissance d’une nation bénie de potentialités, mais prise dans les rets d’une satrapie sénile et portée à la perversité.
Par Achille Mbembe historien et politologue
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