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Léonard Nséké: “ Le football camerounais n’a pas d’éthique de gestion ” (14.02.2006)
Entretien avec... Léonard Nséké, directeur technique de l’Ecole de football des Brasseries du Cameroun
Il a pris un petit coup de fatigue, le vieux. Mais il a gardé intacte sa passion pour le ballon rond, l’envie de transmettre 40 ans d’expérience footballistique (comme capitaine de l’équipe nationale, entraîneur de clubs, adjoint au sélectionneur national et directeur technique national) aux jeunes générations et sa gouaille légendaire. Le quotidien Le Messager est allé à sa rencontre au Centre de formation des Brasseries du Cameroun dont il est le directeur technique depuis 2001. Il parle de cette nouvelle fonction, de la débâcle des Lions indomptables (absents de la coupe du monde allemande et éliminés en quart de finale de la 25ème Can en Egypte) et plus généralement de la gestion du football camerounais.
Le Centre de formation des Brasseries du Cameroun dont vous êtes le directeur technique depuis 2001 est devenu le principal pouvoyeur incontestable des Lions indomptables. Pouvez-vous nous dire combien de joueurs sortent chaque année de cette école ?
Avant de répondre à votre question, il faut savoir que la formation dispensée dans notre Centre est gratuite. Et que nous avons créé une petite motivation qui soulage les familles, en payant le transport des enfants trois fois par semaine. Par ailleurs, le directeur technique que je suis et l’ensemble de l’équipe qui m’entoure, nous avons des facilités de travail qui sont très intéressantes. Je veux dire qu’une fois par exemple que nous avons remis un ballon à chaque enfant, pendant les séances techniques, il en reste encore. Le problème qui est à régler c’est la gestion des relations entre le centre de formation des Brasseries du Cameroun et la maison-mère de notre football. C’est à ce niveau qu’il y a des écueils. C’est ce qui complique un peu la tâche. Mais l’objectif de l’Ecole des Brasseries c’est de former des jeunes pour leur propre plaisir et non pour devenir nécessairement des internationaux. Maintenant, s’il y en a qui émergent jusqu’à entrer à l’équipe nationale, c’est tant mieux. Et si je ne peux pas donner un quelconque chiffre sur le nombre de jeunes qui sortent chaque année des Brasseries, je peux en revanche vous affirmer qu’à l’heure actuelle il y a un jeune formé dans notre centre dans tous les clubs de première, deuxième ou même de troisième division au Cameroun. Je peux aussi ajouter que soixante-dix à quatre-vingts pour cent des jeunes en fin de formation trouvent un club au Cameroun ou à l’étranger. Il faut savoir que ce n’est pas le centre qui place les joueurs. Une fois qu’ils ont fini la formation, ils sont remis à leur famille. Nous formons les enfants pour 4 ou 5 ans. Mais dès qu’il a passé déjà trois ou quatre ans et qu’un club vient le solliciter, l’enfant est placé comme stagiaire dans ce club et à ce titre, il reste néanmoins en formation chez nous jusqu’à terminer son cycle et qu’on lui délivre son diplôme. Mais comme on est dans un pays où il y a des critères et des pratiques peu orthodoxes pour entrer à l’équipe nationale... C’est un peu embêtant tout ça.
De quelles pratiques et à quels types de critères faites-vous allusion ? Voulez-vous parler du sacro-saint équilibre régional ?
J’ai toujours combattu cette notion quand il s’agit de l’appliquer à la sélection nationale. L’équipe nationale de football n’est pas l’Assemblée nationale. Elle n’a pas besoin d’être le reflet des différentes régions ou ethnies qui forment la nation camerounaise, a priori ou par calcul politique. L’équipe nationale de football doit avoir les meilleurs joueurs du moment sans aucune considération ethnique. Ce qui veut dire que s’il y a une école, un organisme, un club qui fournit les meilleurs éléments il faut les prendre tous. Les Camerounais attendent les résultats. Je me souviens qu’en 1994, un journaliste de la télévision d’Etat est venu me voir alors que j’avais en charge de préparer les Lions indomptables pour la qualification à la coupe du monde aux Etats-Unis. Me demandant de prendre son cousin qui était alors un joueur moyen. Je lui ai rétorqué que s’il ne s’agissait que de convoquer les cousins moi-même j’en ai beaucoup. Je peux donc les prendre pour constituer l’équipe nationale de football du Cameroun. Les Camerounais attendaient de moi un résultat et non de savoir si c’est mon cousin qui est sur la liste des joueurs sélectionnés ou non. L’équilibre régional est une aberration en matière de critère de sélection pour être international.
Irez-vous jusqu’à voir dans cette pratique l’une des causes des échecs de l’équipe nationale de football du Cameroun à la qualification de la coupe du monde en 2006 et de l’élimination précoce à la 25ème Can en Egypte ?
Le vrai problème du football camerounais
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aujourd’hui, c’est un problème de gestion. Nous avons dans notre Ecole de formation différentes tranches d’âge, minimes, cadets, juniors, seniors. La fédération organise des compétitions de minimes et de cadets. A peine on joue deux journées de championnat minimes ou cadets que le championnat est fini. Après on demande à l’entraîneur provincial de faire sa sélection pour aller confronter les autres provinces à Yaoundé. Ça c’est de l’escroquerie intellectuelle. C’est aussi escroquer l’argent que la Fifa envoie pour la formation des jeunes Camerounais. Voilà comment on perd. Par ailleurs, il y a une multiplicité de centres de formation fictifs qui sont agréés par les plus hautes instances de la fédération. Et ce sont les mêmes qui sortent pour aller disputer des tournois à l’étranger parce que les promoteurs savent que s’il y a un peu d’argent, ils vont gratter. Mais s’il arrive que les enfants aient des problèmes ils sont abandonnés à eux-mêmes. La majorité de ces promoteurs encouragent ce que j’appelle le football négrier. On peut tricher pendant un temps et avoir des résultats. On ne pourra jamais tricher tout le temps et avoir des résultats. Le hasard nous demande des comptes, il finit toujours par nous rattraper.
Que voulez-vous dire par-là ? Que vient chercher le hasard dans le football camerounais ?
Depuis plus de vingt ans, le Cameroun est présent à la coupe du monde. On a gagné à plusieurs reprises le trophée continental qui consacre la suprématie en Afrique. Je veux dire que pendant des décennies, nous avons tout eu ou presque. Vous ne pouvez pas imaginer combien de milliards nous avons remporté en jouant la coupe du monde ni combien en gagnant la coupe d’Afrique. Et je ne parle pas du titre olympique. Où est passé tout cet argent ? Qu’en a-t-on fait ? Ce qui est sûr, ce qui n’a pas été utilisé pour améliorer la qualité des infrastructures. La réponse à cette absence de politique sportive, c’est l’élimination de la course à la coupe du monde 2006 et des quarts de finale de la Can. Cette sanction ne fait que commencer. Elle va continuer au fil des ans et des compétitions si rien n’est fait pour penser à l’avenir, si nous ne changeons pas de méthode. Lorsque les enfants ont bien travaillé, les autres ne peuvent pas infiniment prendre leur argent et aller construire de belles maisons. Un jour où l’autre ce gangstérisme apparaît en plein jour et il est démasqué. Même le bon dieu ne peut pardonner tout le temps sans sévir pour rappeler les gens à l’ordre. Je persiste et signe que nous sommes maintenant sur une pente descendante et qu’il va être très difficile à l’équipe nationale de gagner un trophée et même de jouer une finale si les mesures correctives qui intègrent le présent et le futur ne sont pas prises.
Qu’est-ce qu’il faut corriger pour que les Lions redeviennent indomptables ? Et comment faut-il le faire ?
Il faut revoir la fiche de la culture de gestion technique. Or les gens qui s’occupent de cette gestion technique doivent avoir la culture technique de football. Puis il faut que ces gens sachent que nous sommes tous des Camerounais, que le pays nous appartient. Par conséquent nous devons servir le pays et non servir nos poches. Autrement dit, il faut une éthique de gestion. Les gestionnaires ne doivent jamais perdre de vue que l’histoire jugera. Il y a maintenant un stade Mbappè Lépé, à Akwa. Or tout le monde sait Mbappè Lépé n’avait rien, il n’était pas riche. Mais il a tout donné au football camerounais. L’histoire racontera que pendant qu’un tel était ministre ou président de la république il a fait ceci ou cela pour le sport comme pour autre chose. En 1972, on a construit deux stades départementaux. Le stade de la Réunification à Douala et le stade Ahmadou Ahidjo à Yaoundé. Ensuite on a construit le petit stade de Garoua. Ce qui veut dire que trente ans après, nous pouvons dire qu’il nous reste sept provinces qui n’ont même pas un stade départemental. Et même si on suppose que le stade de Bafoussam est terminé aujourd’hui, il aura quand même fallu attendre trois décennies. Ce qui veut dire qu’il faudra 180 ans pour que chacune des dix provinces soit dotée d’un stade. Où en sera-t-on? Je ne suis pas sûr que le Cameroun existera encore en terme de football. Vous comprenez donc pourquoi il faut s’organiser dès maintenant pour préparer les victoires de demain. Et ce n’est pas un combat perdu d’avance, même si chacun sait à quel point les mentalités sont difficiles à changer. Il y a des gens qui sont venus foutre le désordre dans l’équipe nationale. Ils vont avoir leur temps, tout cela va finir. Et s’il y a une prise de conscience effective dans la gestion du football dans notre pays, le Cameroun rebondira. Sinon...
Par Propos recueillis par Jean-Célestin EDJANGUE
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