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Artur JORGE : "J’ai été accueilli comme un dieu" (14.07.2005)
NZZ online
NZZ am Sonntag : Comment vit-on au Cameroun, Mr. Jorge ?
Artur Jorge : En tant qu’entraîneur de foot, quand on gagne, tout le monde est content et par conséquent on peut vivre bien partout dans le monde. En Europe tout comme en Afrique. Je me retrouve tout de même avec le Cameroun tout dans une situation délicate. A ma prise de fonction nous avions 5 points de retard sur la Côte d’Ivoire, aujourd’hui ce ne sont plus que deux. Notre qualification pour la coupe du monde 2006 passe par une victoire a Abidjan en début septembre, chose pas du tout facile.
NZZ am Sonntag : Un échec serait synonyme de tragédie
Artur Jorge : Oui, ce serait le cas. Tout le monde au Cameroun aime le foot et surtout l’équipe nationale. C’est l’équipe de la nation, qui aide les gens á mieux respirer. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce qui se passe avant les entraînements. Ils sont tous au stade et veulent parler avec les joueurs, raison pour laquelle nous sommes toujours obligés d’attendre jusqu’à ce que quelqu’un aie réussi à mettre de l’ordre. Le football au Cameroun est comme une religion.
NZZ am Sonntag : Vous devriez donc vous sentir comme une sorte de dieu ?
Artur Jorge : Non, je veux juste aider á former autour de quelques jeunes joueurs une grande équipe nationale. Le Cameroun jouit d’un immense réservoir de talents, qu’on ne connaît très souvent pas, parce qu’ils sont éparpillés dans tout le monde. Ces garçons font des choses avec le ballon, qu’un européen ne saurait faire. Que ce soit dans les villes ou villages, ils jouent á longueur de journée au football comme nous le faisions avant au Portugal. On ne voit plus ce genre de choses de nos jours en Europe.
NZZ am Sonntag : Dans un sondage sur Internet, 72% des participants vous font confiance. Apparemment vous êtes le bienvenu au Cameroun ?
Artur Jorge : Je crois oui, même si je ne le ressens pas comme ça : A mon arrivée, j’ai été accueilli comme un dieu.
NZZ am Sonntag : Donc vous vivez là le contraire de votre Intermezzo suisse ?
Artur Jorge : On peut le dire. La Suisse est pays un peu spécial et ça je le savais, quand je me suis engagé en 1996 á prendre en charge son équipe nationale. J’appris par contre á connaître un pays plutôt très spécial.
NZZ am Sonntag : Qu’y a-t-il d’aussi spécial ?
Artur Jorge : Le football n’est pas important en Suisse. En plus il y a, si on peut le formuler ainsi, 4 nationalités avec tout ce que cela comporte comme conséquences : Les uns qui sont toujours contre les autres. Je ne m’attendait pas á tout ça et en plus le fait que j’aie été auparavant au Portugal et en France n’a fait que compliquer les choses.
NZZ am Sonntag : Pour qui ?
Artur Jorge : Ceux du nord, de Zurich. Mais tout ça c’est du passé même si, ni avant et ni après, je ne l’ai jamais vécu. Le « Blick » avait signé un pacte avec mon prédécesseur (Roy Hodgson), qui, á l’époque, entraînait je ne sais plus très bien quel club (Inter Milan) et aurait bien voulu être parallèlement sur le banc de touche suisse pendant l’Euro en Angleterre. On faisait tout pour pouvoir me faire mal. Ce qui s’est passé était mauvais pour tout le monde : Pour moi, les joueurs et le football suisse.
arrivée à Yaoundé-Nsimalen en janvier
NZZ am Sonntag : Au Cameroun les politiciens sont encore plus dangereux que les mass medias. Avec qui avez-vous signé votre contrat ? La fédération ou le ministère des sports ?
Artur Jorge : Avec tous les deux.
NZZ am Sonntag : Et qui vous paye ?
Artur Jorge : Je n’ai aucune idée.
NZZ am Sonntag : Et on vous laisse travailler en paix ?
Artur Jorge : Le ministre des sports a insiste lors de ma prise de fonction sur le fait que ni lui ni la fédération de foot n’allait s’immiscer dans mon travail. Au Cameroun je peux travailler comme partout ailleurs dans le monde. Si
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jamais il arrivait que ce ne soit plus le cas, je partirais sur le champ et sans hésiter un seul moment.
NZZ am Sonntag : Vous donnez l’impression en public d’être timide. Quand vous avez beaucoup de monde autour de vous on a l’impression que vous soyez paralysé. Comment pouvez-vous vous sentir á l’aise dans un pays archaïque comme le Cameroun où les gens n’ont peur de rien ?
Artur Jorge : Je souhaiterais certes un peu plus de discrétion... Il y a deux ans je me suis rasé la moustache et du coup personne ne me reconnaissait.
Artur Jorge : Imaginez vous que je pouvais flâner á Lisbonne sans être reconnu par qui que ce soit. C’était superbe. Au Cameroun, j’ai quand même assez de temps pour lire écouter la musique et discuter avec mes amis.
NZZ am Sonntag : Et comment ça se passe avec votre vie de poète ? Ecrivez-vous encore des poèmes ?
Artur Jorge : Non, je ne le fais plus, même si ça reste quelque chose de très important. Ce n’est plus du tout possible aujourd’hui. J’écris plutôt des choses pour moi-même.
NZZ am Sonntag : L’Afrique avec ses couleurs et ses mythes devrait pourtant vous inspirer ?
Artur Jorge : L’Afrique m’inspire autrement. Au début de ma carrière au Portugal j’ai fais une tournée en Angola et au Mozambique avec l’Academica de Coimbra. Nous avons 1 mois dans chacune des deux anciennes colonies portugaises ; J’étais stupéfait face á la beauté de ces pays. Peut-être que c’est en ce moment là que j’ai commencé á aimer L’Afrique, ce continent totalement différent de l’Europe. Le climat et les gens sont complètement différents - Ils aiment le football. L’Afrique est un grand et un beau continent avec des gens fantastiques mais par contre avec beaucoup de problèmes qui perdurent.
NZZ am Sonntag : A Coimbra vous avez étudie á une université de gauche, avez lutté contre la dictature et vouliez améliorer le monde. Pouvez-vous nous décrire l’effet de la pauvreté et le manque de perspectives sur les camerounais ?
Artur Jorge : Avant, quand on était jeune, on pensait autrement, on voyait le monde avec d’autres yeux que ceux de la vieillesse. Quand on regarde aujourd’hui un peu autour de soi...
NZZ am Sonntag : ... Quelle est la conclusion ?
Artur Jorge : Que le monde est comme on se le représentait ; que tout ce qu’on imaginait il y a 30, 40 ans s’est passé. Je suis un peu déçu lorsque je lis les journaux ou suis la télé. Je crois que nous sommes tous déçus.
NZZ am Sonntag : Votre star Samuel Eto’o touchera 4 Millions d’Euro par an á Barcelone pendant que plusieurs jeunes camerounais ne peuvent pas jouer au foot car les clubs tout comme les écoles n’ont pas de moyens pour s’acheter des balles. Comment se sent-on en tant que membre d’un système aussi absurde ?
Artur Jorge : Que dois-je faire ? Arracher aux joueurs ce qu’on leur donne ? Il est difficile pour une personne au statut qui est le mien de parler de ce genre de choses. Je ne veux pas en plus, comme la plupart des européens en Afrique, me prendre pour un super connaisseur.
NZZ am Sonntag : Vous avez par contre certainement procédé á des changements á l’équipe nationale depuis que vous avez pris les choses en main ?
Artur Jorge : Evidemment. Mais très souvent ce n’est qu’après les effets de surprises qu’on est á mesure de corriger le tir. Peu avant le match de la Libye nous tenions une conférence comme je ne l’ai jamais vécu par le passé. Il y avait environ 200 á 300 personnes dans la salle. Devant ma table était 12 personnes que je ne connaissais pas du tout. Le théâtre a duré une heure et demie. Une autre surprise pas des moindres était celle avant notre premier entraînement á Yaoundé, où les herbes á hauteurs de genoux nous attendaient au stade. C’est dur par moment de garder la tête froide. Les africains possèdent un talent immense mais ne sont pas toujours capable d’en tirer le maximum.
Andreas Kopp
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