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Football : mystification et incohérences (01.06.2010)
Une fois de plus, mais cette fois orchestrée par la presse française, une polémique détestable se développe autour de l’équipe nationale de football du Cameroun à la veille d’une échéance internationale pour laquelle ses joueurs et leur entraîneur ont besoin de se concentrer dans la sérénité. Polémique déclenchée par une légende immortelle, semble-t-il, du football camerounais, et ci-devant Ambassadeur itinérant du Cameroun nommé Roger Milla. Lequel a déclaré dans une interview à l’Agence France Presse, que Samuel Eto’o avait beaucoup fait pour Barcelone et pour Inter de Milan, mais n’avait pas encore donné aux Camerounais ce que le pays attend de lui.
Il n’en fallait pas plus pour que Samuel Eto’o, du haut de son palmarès mondial incontestable sans doute, et comme s’il n’en attendait que l’occasion, rappelle à son aîné que celui-ci n’a rien remporté, et que lui Eto’o, s’accorderait quelques jours de réflexion pour savoir s’il ira en Afrique du Sud, sous-entendu avec les Lions indomptables. Taulé général et déchirement au Cameroun entre ceux qui pensent, Ministre des Sports et président de la FECAFOOT compris, que le héros du « mundial 90 » a manqué l’occasion de se taire au moment où l’équipe de Paul Le Guen a besoin de calme, et ceux qui croient que la Star mondiale aurait dû pendre les propos de l’Ambassadeur comme un exigent mais paternel rappel.
Et du coup, tous les procureurs du tribunal de l’opinion publique se sont emparés des médias pour requérir réciproquement à charge et à décharge contre « l’impertinence » de Roger Milla et « le chantage » de Samuel Eto’o. On a ainsi vu et entendu des icônes de la Presse sportive camerounaise flétrir avec passion la réaction de Samuel Eto’o, manquant évidemment de psychologie pour comprendre que la température de l’orgueil monte très vite en public, et que l’Ambassadeur qui devrait avoir le langage de l’emploi aurait dû tenir son propos en de circonstances et dans une forme plus appropriées, ou sous anonymat .
En Côte d’Ivoire, tout le monde pense et dit la même chose de Didier Drogba, mais aucune voie officielle n’irait le lui jeter à la face à travers la presse. Au Cameroun, les journalistes sont les premiers à reprocher aux dirigeants sportifs d’avoir communiqué pour appeler tout le monde à une sereine sagesse des propos, estimant que ces derniers auraient dû soutenir l’Ambassadeur insatisfait du déficit de patriotisme de son fils. On a alors entendu dire, au cours d’un certain débat télévisé, que « Eto’o n’est pas indispensable au football camerounais ». lui rappelant qu’ « il faut éviter de faire un chantage à l’Etat », et suggérant en citant un précédent dans l’équipe de France, que l’entraîneur pourrait bien « l’écarter de l’équipe sans état d’âme ».
Outre que de tels propos, intrinsèquement émotionnels et sur fond d’idolâtrie, sont irresponsables dans leur prononcé et dans la gestion de leurs effets, ils me semblent relever de la mystification dans la mesure où on veut créditer
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icil’idée qu’il est plus important pour un footballeur professionnel de défendre les couleurs nationales de son pays, que de mériter le salaire que lui paye son club, et pour lequel il s’est expatrié. Pourquoi exigerait-on d’un footballeur qui de ses jambes gagne à l’extérieur de l’argent dont .il investit une partie au Cameroun, de se consacrer plus à la défense du drapeau national que l’officier de l’armée nationale dont c’est l’emploi salarié, ou les ministres et hauts commis de l’Etat dont c’est le mandat, et qui insultent constamment ce drapeau en pillant les ressources du pays pour les investir à l’extérieur ? Bien que comparaison ne soit pas raison, peut-on reprocher à un militant du Rdpc de ne pas se donner autant aux activités du parti qu’à son emploi où il gagne de quoi nourrir sa famille et payer ses cotisations?
Par quel extraordinaire le football est-il devenu l’ultime valeur nationale et nationaliste du pays, et les Lions indomptables le seul référent du patriotisme, au point qu’un joueur n’aurait ni le droit de refuser une sélection à l’équipe nationale, ni la malchance de ne pas gagner quand il y est, sans être accusé de « manquer d’amour pour sa Patrie » ?
Pourtant, de nombreuses œuvres sociales se sont réalisées sur le sol national grâce aux ressources salariales de cette diaspora sportive qui est toujours privée du droit de vote, comme si le seul droit civique de chacun de ses membres octroyé par faveur, était d’être sélectionné à l’équipe nationale. En revanche, on ne connaît ni un bout de terrain sportif, ni encore moins un dispensaire ou un tronçon de piste rurale, qui soit le fruit d’une Coupe d’Afrique de Nations remportée, ou d’une participation du Cameroun à la coupe du Monde, fût-elle celle d’Italie où Roger Milla lui a permis d’arriver en quarts de finale.
Et à tant vouloir pousser les Camerounais à lâcher la proie du patriotisme pour l’ombre, ne pourrions-nous pas au minimum être cohérents avec nous-mêmes ? De deux choses l’une : ou bien Samuel Eto’o est utile à l’équipe nationale parce qu’il le mérite et on laisse l’entraîneur de l’équipe juge de la manière de l’utiliser quitte à rendre compte. S’il n’est pas utile, ou si à valeur égale l’entraîneur peut lui préférer un autre, alors, il a le droit de réfléchir à sa participation sans que ce soit un chantage fait à l’Etat.
Le vrai problème de fond, c’est qu’au-delà de l’exutoire, la prestation des Lions indomptables du football est la seule chose qui rend la majorité d’entre nous fière d’être Camerounais, et que faute de pouvoir jouer soi-même, chacun veut être entraîneur manager de ce groupe sans lequel la nation n’est que virtuelle sur le plan humain. Et à force de fantasmer sur les talents des footballeurs à qui on donne implicitement la procuration pour défendre la patrie, on en oublie que chaque but marqué par un joueur, quel que soit la qualité du talent qu’il y met, est in fine la conclusion d’une action forcément collective.
jbsipa@gmail.com
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