|
Marc Vivien Foé : Ainsi se turent les arbres . (25.06.2004)
Thiéry Gervais Gango
Un an après, le chantier de son complexe, son legs parmi les plus précieux, n’a pas évolué.
A Okui-Maetur, à quelques encablures de Nkomo, une banlieue de Yaoundé, la vie doit être si paisible que le soir venu, le parfum de la forêt environnante doit respirer une odeur de village. Le coin respire la paix. Il inspire la retraite et suggère des vacances studieuses. Abandonnée la route principale qui serpente jusque dans les forêts parfois vierges de la province de l’Est, il y a une bretelle, sommairement bitumée. Elle s’enfonce dans un quartier en chantier, distingué pour ses duplex et villas fraîchement édifiées. Là, quelque part, se dresse, fier et imposant, le complexe que Marc Vivien Foé avait commencé à bâtir avant que le rendez-vous de la mort ne vienne troubler le chemin de son destin rayonnant. Une colonie d’adolescents qui s’y dirigent, le pas traînant, vers ce lieu qui, à 500 mètres déjà, respire l’ambition et le don de soi. Tout cela ressemble à un pèlerinage. A l’entrée, leur chemin a croisé celui d’autres visiteurs beaucoup plus réguleirs. Les cousins du Lion indomptable. Et celui de certain Gunter, sûrement de l’équipe médicale des Lions indomptables. Lequel pleure. Inconsolable. Sans doute en proie aux souvenirs poignants de ce 26 juin 2003 où le milieu de terrain international camerounais tomba brusquement en plein match de demi-finale de Coupe des confédérations, Colombie-Cameroun à Lyon. Pour ne plus jamais se relever. Pour l’éternité et la postérité.
L’homme s’en va, après avoir déposé une gerbe de fleurs sur la tombe de l’illustre disparu. Silencieux. Le cœur certainement meurtri. En lettres dorées, accompagnant sa gerbe, il y a ce "Paix à ton âme Marc", qui dit tout sur son hommage. Au complexe, rien n’a vraiment changé. Il y a cette clôture en dur qui a germé du sol. Et, surtout, le mausolée que Marie, la jeune veuve, a tenu à édifier pour donner à son époux décédé, une demeure au moins à l’image de sa stature. Un ensemble architectural bien dessiné. Un socle qui serait complètement circulaire n’eut été la forme de cette étoile que les sommets coupent de part en part. Cette base est surmontée par quatre piliers qui se tiennent en se dressant comme s’ils voulaient, ensemble, indiquer le chemin de l’azur. Autour, Tobie Mbida Foé, le cousin du défunt qui tint ses premiers pas de footballeur, organise le travail. La niveleuse d’un autre cousin ne s’arrête pas. Il y en a qui s’occupent sérieusement.
Pour la première commémoration de la brusque disparition du milieu de terrain camerounais, il est prévu ce vendredi 25 juin 2004 à partir de 17 heures à cet endroit même, une messe suivie d’une grande veillée. Ainsi que demain, samedi 26 juin à partir de 15 heures, une grande messe de commémoration dite par l’archevêque de Yaoundé. Le but de la manœuvre ne consiste pas à badigeonner de chaux les murs demeurés tel que Marc Vivien Foé les avaient laissé au moment de son ultime voyage. C’est juste de la mise en place. En attendant les tentes qui arrivent. En attendant aujourd’hui et demain. Demain, l’an 1 de la mort d’un homme-héros que la nation pleura en lui rendant hommage. Mais dont on a l’impression, un an seulement après, que des images de ces heures émues, il ne reste plus beaucoup de souvenirs. Au complexe que Marc Vivien Foé était en train de bâtir, il n’y a rien qui ne fut là ce jour-là. Un an après, les nombreux saunas et salles de gym, les différents jacuzzis, la grande piscine, la boutique d’équipements sportifs ,tous au rez-de-chaussée, ou encore la terrasse, le restaurant et le bar prévus au niveau supérieur pour offrir la possibilité de jouir des bienfaits d’une vue imprenable sur l’ensemble, sont restés intacts.
Complexe
L’hôtel prévu à l’entrée du complexe n’a pas germé de
|
terre. Juste à côté du mausolée où le héros gît en paix, la piscine plein air n’a pas vu le jour. A l’endroit prévu pour accueillir les cours de tennis, des gamins ont planté des montants de buts, comme pour perpétuer, à leur façon, la mémoire de l’idole. Le lac artificiel que Marc Vivien prévoyait en contrebas, attend toujours de faire corps avec le ruisseau qui coule toujours dans sa tranquillité. Il n’y a pas encore cette passerelle qu’il voulait ériger pour servir de pont entre le complexe et le centre de formation et d’initiation qu’il voulait construire un peu plus loin. Il y a juste, sur la devanture, une surélévation recouverte. C’est une statue à la mémoire d’un homme et d’un idéal de vie que Marie, la famille et les amis découvriront demain. Il y a juste des arbres, des manguiers et des safoutiers dont les fruits nombreux sont certainement autant de signes d’espoir.
En ces heures de l’après-midi, l’air est d’une fraîcheur bienfaitrice. C’est un air de campagne et de montagne. De sainteté et de pureté. La fraîcheur est naturelle.
La forêt imposante et verdoyante subjugue la vue en la fascinant. Seul le bruit de la niveleuse tente de troubler la fusion du chantier avec la nature et, en vain, de sortir Marc Vivien de son sommeil de prince. Marie a fait un geste d’amitié aux adolescents qui étaient là, se souvenant des instants pénibles, parlant de la douleur de l’épouse affectée et rêvant de ce qu’un jour, le rêve de leur idole prenne corps pour leur permettre d’espérer à leur tour. La veuve a fait le tour et réglé certains détails avec ses beaux frères protecteurs. Elle a parlé des préparatifs de la veillée de ce jour et la grande messe d’action de grâce de demain après-midi. Puis elle est repartie. Vers ces impératifs auxquels elle doit désormais faire face. Seule.
Invitée à répondre à une préoccupation de journaliste, elle a, poliment, prié d’accepter de comprendre qu’elle ne puisse pas se soumettre à l’exercice. Son sourire gracieux a convaincu de ne pas insister. Son humilité et sa dignité ont contraint à considérer cette douleur qu’elle porte dans son cœur et son regard. A cette souffrance intérieure qui refuse de rejaillir sur son pas amène et la mesure de sa gestuelle.
Elle court, confie Tobie Mbida Foé, vers les tâches qui l’appellent. Elle va vers ces responsabilités nombreuses qu’elle doit désormais assumer. La même énergie avec laquelle elle fait bouger les choses sans désespérer qu’un jour viendra où ce sera moins difficile. La charge des enfants qui continuent à aller à l’école en Angleterre. Le déménagement de la maison de Lyon pour le Cameroun où la résidence de Marc Vivien reste à parachever. Les tracasseries parfois sournoises. Et ce complexe qu’elle veut à tout prix achever, termine Tobie Mbida Foé, le beau-frère qui veille sur l’impressionnant héritage, membre actif qu’il est de la Fondation Foé aux destinées desquelles préside le père. Pour cela, il faut des ressources. Celles que certains amis et bonnes volontés ont offert dans la mesure de leurs moyens. Mais aussi et peut-être, celles qui pourraient provenir des promesses de la Fifa. Celles de la Caf qui, confie un autre cousin, attendaient le règlement de certains détails administratifs. Celles de la République dont le chef, se souvient-on, avait promis d’être utile le moment venu. Celles, enfin, d’un peuple dont il faut espérer qu’il se souvienne des plaisirs et joies procurés par un certain N°17 en vert, rouge et jaune. De certain milieu de terrain précieux. De certain Camerounais qui a contribué, par son sacrifice, à porter le nom de son pays jusqu’aux limites de la terre. De Marc Vivien Foé dont il n’est pas exclu que nos mémoires, hier émues et promptes aux promesses aient, un an seulement après, aient oublié jusqu’au souvenir de la mort, de la vie et du don.
|
|
|
|
|
|