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01.02.2006
Évaluation à mi-parcours : Un niveau technique globalement satisfaisant
Le continent dispose de quatre années pleines pour se préparer pour la toute première coupe du monde de football en terre africaine. Les noces de l’Afrique et du football, ce sera en effet en 2010 en Afrique du Sud. Au-delà de ce qui se passe en Égypte lors de cette Can 2006 et de toutes les autres qui suivront, le rendez-vous historique à ne pas perdre de vue est bel et bien celui-là. Englués dans une gestion au jour le jour, il est à craindre que les responsables africains du football ne prennent que tardivement conscience de cet enjeu et que, comme à l’accoutumée, l’impréparation une fois de plus ne soit érigée en règne suprême. En attendant, et alors que les matches de poule de la Can 2006 sont terminés, le moment est propice pour une évaluation à mi-parcours de la fête du football qui se déroule en Égypte depuis quelques semaines.
Improvisation et désordre
Et d’abord, bien des sélections africaines n’ont toujours pas compris qu’à un certain niveau de la compétition mondiale, voire continentale, l’improvisation et le désordre ne paient point. Les meilleurs rendements sportifs ne sont pas seulement le résultat des talents naturels des joueurs, mais aussi du cadre matériel, de l’environnement financier, psychologique et moral dans lequel s’effectue la préparation aux grands rendez-vous. On l’a malheureusement encore vu au début de cette Can : des entraîneurs mis à la porte à quelques semaines des échéances ; d’interminables querelles au sujet des primes ; des menaces de boycott à quelques heures de la descente sur le terrain ; des bureaucrates et simples fonctionnaires tentant d’imposer des choix au staff technique ; des ministres de la république tenant pignon sur rue, les valises bourrées d’argent liquide qu’ils redistribuent aux joueurs en catimini, la nuit, dans des chambres d’hôtel, à l’âge des transferts électroniques ; voire des joueurs en conflit ouvert avec leurs sélectionneurs et échangeant avec ces derniers des insultes en public – la bêtise nègre, qui semble n’embarrasser plus personne, mais que l’on aurait tant de peine à imaginer sous d’autres cieux, en Europe ou en Asie !
Il est pourtant évident que de telles attitudes ne font que renforcer aux yeux du monde l’image d’un continent immature, sous-développé, incapable de se prendre en charge, et dont on n’attend, à la vérité, pas grand-chose. Au demeurant, l’une des grandes faiblesses du football africain aujourd’hui est l’écart sans cesse grandissant entre les conditions professionnelles dans lesquelles évoluent les joueurs dans les clubs européens d’un côté, et de l’autre, l’amateurisme et l’incompétence des institutions africaines et autres officiels chargés de la gestion des équipes nationales. Les pays susceptibles de jouer un rôle majeur sur l’échiquier continental – et pourquoi pas mondial - dans les années à venir sont manifestement ceux qui auront comblé cet écart et qui auront offert à leurs joueurs des conditions de travail plus ou moins similaires à celles dont ils jouissent à l’extérieur.
Tout ceci suppose une professionnalisation rapide des instances gestionnaires là où prévaut encore, pour l’heure, une pesante bureaucratisation similaire à la vie même des États postcoloniaux, avec leurs penchants bien connus pour la prédation et le désordre. Concrètement, ceci signifie une profonde adhésion aux règles minimales de bonne gestion des ressources financières et humaines ; l’adoption des mécanismes internationaux d’audit des comptes ; la dé-bureaucratisation des fonctions techniques ; plus d’autonomie accordée aux entraîneurs et moins d’interférence de la part des ministères et des fédérations dans les choix tactiques et la sélection des joueurs ; un respect scrupuleux des contrats avec les tiers ; une gestion prospective en lieu et place de l’improvisation actuelle ; la mise en place de mécanismes créatifs de financement des activités des équipes nationales ; la création des infrastructures et des institutions nécessaires à la vie sportive en général (stades, centres de formation, écoles pour les arbitres et ainsi de suite) ; l’investissement dans la prospection et la formation des jeunes.
L’on aura également noté que le succès purement sportif de la Can dépend, en très grande partie, de la participation des joueurs professionnels africains à cette compétition. Que l’on ait eu, au cours de la première phase de la compétition, droit à des matches spectaculaires et de haute intensité, à l’exemple de celui qui a opposé le Nigeria au Ghana tient sans doute à leur contribution. Leur apport aura été, de ce point de vue, déterminant. Il suffit de voir la classe dont ont fait montre Samuel Eto’o, Obafemi Martins, Stephen Appiah, Pascal Feindouno et bien d’autres. Dans la plupart des cas, la somptuosité des gestes techniques est allée de pair avec des rudiments d’une véritable culture tactique. D’ailleurs, si l’on s’en tient à ce que l’on a vu, l’alliage entre la finesse technique, le sens tactique et les facteurs proprement physiques risque, dans les années qui viennent, de devenir l’une des signatures propres d’un football africain mondialement compétitif. En attendant, seuls ceux qui auront su gérer la tension des jours qui viennent se retrouveront sur le podium le 10 février prochain.
Hiérarchies
Quoi qu’en pensent les sceptiques, le niveau technique général de cette Can est plutôt satisfaisant – encore que les inégalités entre équipes soient plus nettes qu’on ne l’aurait pensé, et que la hiérarchie en vigueur depuis 1998 ait été, à la vérité, peu bousculée. Du quintet classique composé du Cameroun, du Nigeria, de la Tunisie, du Sénégal et de l’Afrique du Sud, seul ce dernier pays accuse une véritable régression. Il a concédé trois défaites et n’a marqué aucun but. Les raisons du déclin du football sud-africain ne sont pas connues. Il s’agit pourtant du pays le plus riche du continent, doté de belles infrastructures, d’un tissu industriel dense, d’une véritable économie du football et d’un championnat professionnel dans lequel évoluent d’ailleurs des joueurs étrangers. Mais c’est également l’un des footballs les plus naïfs, les plus autistes et les plus inefficaces du continent. La fédération nationale est contrôlée par une puissante clique qui fait et défait les entraîneurs à volonté (plus d’une dizaine en moins de dix ans). Un vaste réseau clientéliste allant des fonctionnaires de la fédération aux propriétaires des clubs et aux agents recruteurs permet de recycler d’importantes sommes d’argent au sein d’un marché du sport relativement captif où dominent, à tous les niveaux, médiocrité et auto-suffisance. Il n’est pas certain que cette situation puisse être changée dans les quatre ans qui viennent.
Hormis le Ghana et, dans une moindre mesure la Tunisie, tous les autres représentants africains à la prochaine coupe du monde en Allemagne ont étalé en public des faiblesses que l’on connaissait déjà, ravivant au passage le doute entretenu à peu près partout quant à leur capacité de représenter dignement le continent l’été prochain. La Côte d’Ivoire compte quelques individualités. Mais à l’échelle mondiale, elle ne constitue pas une équipe en tant que telle, capable de tenir tête, sans disgrâce, à l’Argentine, l’Angleterre, le Brésil ou les Pays-Bas. Elle ne dispose d’aucun système de jeu digne de ce nom, encore moins d’une culture tactique. Il existe un déséquilibre manifeste entre les différents compartiments du jeu. Le groupe rassemblé par Henri Michel manque de force mentale et donne parfois l’impression de craquer à la moindre pression. Même s’il parvient à contourner l’obstacle camerounais en quarts de finale de cette Can, l’on voit mal comment il résistera aux assauts des grandes attaques européennes et sud-américaines en Allemagne. Le Ghana est composé de joueurs solides dont le potentiel, accumulé lors de diverses compétitions internationales (niveau jeunes) au cours des années précédentes, est prêt à utilisation. L’ensemble fait montre d’une relative cohésion même si ses capacités offensives laissent encore à désirer. La qualification de l’Angola et surtout du Togo relève purement et simplement de l’accident. La Tunisie peine, quant à elle, à cacher sa fragilité.
N’ayant pas su renouveler son potentiel après l’épopée asiatique, le Sénégal est manifestement en perte de vitesse. Son jeu, parfois trop lent et trop laborieux, est inefficace. Il ne dispose, en attaque, d’aucun “ tueur ” de race. Personnage fantasque et mal élevé, El Hadj Diouf n’est plus que l’ombre de lui-même depuis son passage à Liverpool. La présence de Bouba Diop et d’Andy Faye au milieu du terrain ne compense pas à elle seule la perte de Khalilou Fadiga et le déclin de Salif Diao. Viennent ensuite la Guinée et la République démocratique du Congo (Rdc), deux équipes enthousiastes, rapides, mais manquant de maturité. La Rdc, en particulier, ne doit sa présence au niveau des quarts de finale que grâce au respect que les “ Lions indomptables ” ont conservé pour leur ancien coach, Claude Leroy. C’est du moins ce que certains observateurs affirment. Le Nigeria possède, comme d’habitude, le vivier le plus nombreux en termes de talents et de qualité technique et physique. En Taiwo, il dispose de l’un des latéraux gauches africains sans doute les plus puissants de l’heure. Compte tenu de son potentiel démographique, il pourrait, avec un minimum d’organisation et de méthode, légitimement prétendre à une certaine suprématie mondiale.
Perspectives pour le Cameroun
Même si son chemin vers un cinquième titre venait à être barré, le Cameroun aura montré, au cours de la phase qui s’achève, qu’il dispose des moyens de jouer un rôle de premier plan dans les années qui viennent, pourvu qu’il mette de l’ordre dans l’une des gestions les plus anachroniques et les plus bouffonnes du football africain. La lourde machine des années quatre-vingt-dix et début 2000 est en train de faire sa mue. En Makoun, Saidou, Ngom Kome, Webo et Douala, elle dispose d’une combinaison de joueurs rapides, techniquement doués, capables de jouer aussi bien offensivement que défensivement. A ce groupe s’ajoute Samuel Eto’o. ÀA lui tout seul, ce dernier constitue une véritable arme atomique pour les défenses adverses. Mais si l’équipe veut aller loin en 2010, encore faudrait-il qu’elle trouve, dans les deux années qui viennent, de véritables remplaçants aux cadres vieillissants et gens d’expérience que sont Gérémi Njitap, Salomon Olembe, Raymond Kalla et Rigobert Song.
La suite de la compétition risque de nous réserver bien des surprises. N’iront jusqu’au bout que les équipes réalistes, capables de contenir ou d’étouffer leurs adversaires au milieu du terrain, au cours de matches intenses où le calcul tactique, la force physique et les exploits individuels compteront désormais plus que tout le reste. Dans la plupart des cas, les scores risquent d’être étriqués. Les sélections capables de produire le football le plus chatoyant ne sortiront pas nécessairement victorieuses de ces confrontations où la capacité à gérer les nerfs risque de faire parfois la différence.
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