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31.08.2005
Côte d’Ivoire contre Cameroun : L’autre match : “ coupé décalé ” contre “ Makossa ”
Alors qu’à Abidjan et Yamoussoukro, les rythmes camerounais se cherchent, de Douala à Bafoussam en passant par Yaoundé et Bertoua on coupe et on décale.
Le match Côte d’Ivoire-Cameroun, le 4 septembre 2005, au Felicia d’Abidjan, dépasse largement le seul cadre du sport. C’est aussi une rencontre musicale, culturelle, entre le “ coupé-décalé ” qui semble avoir supplanté la fièvre du Zouglou depuis plus d’un an maintenant en Afrique et le makossa-bikutsi-magambeu. Il n’y a qu’à faire un tour dans les boîtes de nuit et autres débits de boisson, à Douala, Yaoundé, Bafoussam, Bertoua ou Garoua et Bamenda, pour s’en convaincre. Dans les grandes comme les petites communes du Cameroun, la chaleur du mouvement “ sagacité ” interprété par Doug Saga, l’un des initiateurs de cette vague ivoirienne musicale s’est imposé comme un incontournable ingrédient quand on veut s’amuser et parfois “ s’éclater ”. Dans le même temps, les rythmes camerounais réclamés à cor et à cris par nos frères d’Abidjan, de Yamoussoukro, il y a encore une décennie, donnent l’impression d’être en perte de vitesse. Comment expliquer ce paradoxe ?
L’un des rythmes, le “ coupé-décalé ” qui apparaissait davantage comme une danse pour caricaturer la danse du groupe ethnique attié à quelques kilomètres d’Abidjan, la capitale économique et administrative de la Côte d’Ivoire, est devenu là-bas une attitude sociale, une manière de se montrer en société. Les gestuelles ont été actualisées, exprimant nettement la vie quotidienne des Ivoiriens, dominée par la situation de guerre civile que l’on connaît depuis près de deux ans. Les bras levés vers le ciel, en signe de complaintes appelant ce même ciel au secours et le prenant à témoin. Le coude plié à la manière d’un caméraman qui filme là encore, tel un témoin privilégié, les différentes situations de tension et les turbulences qui minent la nation ivoirienne du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Puis, parce que la Côte d’Ivoire est, malgré tout, également un pays qui aime et vit le ballon rond intensément, la gestuelle technique d’un bon footballeur n’est pas en reste : jonglages, amortis de la cuisse et de la poitrine, frappe de la tête…rien ou presque n’est oublié.
Témoins du quotidien
Par ailleurs, comme la vie quotidienne doit continuer, les gestes épousent les paroles des textes. “ Coupé ” dans le langage familier des ivoiriens signifierait “ boire jusqu’à saouler ” et “ décalé ”, partir. On comprend donc un peu mieux pourquoi, les textes font souvent référence à une forme d’opulence (le champagne et d’autres boissons prisés doivent couler à flot). Après quoi, on peut faire parler de soi (faire le boucan), faire le malin (farot farot) et bien sûr s‘en aller (s’envoler).
Les autres danses, makossa, bikutsi, magambeu, qui sont plus que des rythmes, même si leurs auteurs puisent également leurs inspirations dans la vie de chaque jour au Cameroun, puisqu’ils prennent leurs racines dans l’essence de la culture musicale traditionnelle camerounaise, après plusieurs décennies glorieuses, semblent se rechercher. Certes le bikutsi, de la diversité des chanteurs qui l’interprètent et des musiciens qui de plus en plus l’ont adopté (de Messi Martin aux Têtes brûlées en passant par Koko Ateba, K-Tino ou Nkodo Sitony), a fini par avoir un rayonnement bien au-delà des limites de notre continent. Mais que sont le magambeu et le makossa d’antan devenus ? Pierre Didy Tchakounté, dont la modernisation de cette musique dans les années 80 avait donné un grand bol d’air à la discographie culturelle de l’Ouest du Cameroun, est depuis longtemps tombé dans l’oubli. Quant au makossa, la restauration tentée par des artistes sawa sous la baguette d’un Manu Dibango présenté comme le “ gardien du temple ”, à travers la sortie de “ Kamer all stars ”, il y a quelques années, a du mal à prendre. Il y a encore beaucoup trop de parasites qui se font passer pour des musiciens au Cameroun. Mais, les Richard Bona, Henri Dikongué, Manu Wandji et surtout Etienne Mbappè ont choisi à leur manière de jouer autrement le makossa et les autres rythmes culturellement camerounais, pour les faire entrer définitivement dans la postérité en l’enrichissant des sonorités venues d’ailleurs et en conservant ses racines originelles.
Certes les musiques et chansons des uns et des autres s’inspirent de ce que chacun des deux peuples vit au quotidien. Mais il paraît que le nouveau visage de la musique camerounaise, appelée à dépasser les effets de mode qui semblent accompagner l’audience du “ Zouglou ” et du “ coupé-décalé ”, soit davantage révélateur de la solidité du Cameroun dans ce domaine. Comme dans le football ?
Par Jean-Célestin EDJANGUE
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